Épopée du mètre
Le mètre, base du nouveau système métrique
Dès le 19 mars 1791 le mètre, base du nouveau système métrique, était théoriquement défini comme égal à la dix millionième partie du quart du méridien terrestre, encore fallait-il établir dans la pratique la longueur de ce dernier.
L’académie des sciences définissait, dans son "rapport sur le choix des unités de mesure", les différentes étapes que ces travaux devaient suivre : la longueur du méridien serait déterminée à partir d’un arc de 9 degré et demi entre Dunkerque et Barcelone, la méthode employée serait la triangulation.
En 1718, déjà, elle avait permis à Jacques Cassini de réaliser sa mesure du méridien entre Dunkerque et Collioure. La triangulation consiste à jalonner un itinéraire par un réseau de points que l’on choisis pour leur visibilité : tour, sommet, clocher... Ces points devant former des triangles juxtaposés. Cette méthode fait appel à des calculs de trigonométrie et permet, si l’on connaît tous les angles formés par deux triangles adjacents et au moins une des longueurs d’un seul de ces deux triangles, de déterminer la grandeur de tous les côtés de deux triangles.
Pyramide de Juvisy
La triangulation et la détermination des latitudes sont confiées à Cassini ( le fils de Jacques Cassini), Legendre et Méchain.
La mesure des bases doit être effectuée par Monge et Meusnier. En juin 1791, Cassini se contente de visiter avec Méchain la base de Villejuif à Juvisy à Paris (l’obélisque est connue actuellement sous le nom de Pyramide de Juvisy). Cassini pense pouvoir réutiliser cette ancienne base qui déjà avait servi à son père en 1739, à son grand-père en 1701, et à L’abbé Picard en 1670 pour chacune de leur triangulation, mais il n’en sera rien. Cassini restera ensuite à Paris pour aider Borda. Monge et Legendre ne feront presque rien. Meusnier, quant à lui, partira pour l’armée du Rhin et se fera tuer en 1793. Delambre, qui venait d’entrer à l’Académie des Sciences est alors désigné pour les remplacer.
La mesure de l’arc du méridien nécessitait l’utilisation d’instruments de précision et se justifiait en partie par leurs améliorations, leur nouvelle précision rendait caduque les anciennes mesures effectuées cinquante ans auparavant.
En effet, pour la détermination des angles, nos deux géodésiens allaient utiliser le nouveau cercle répétiteur de Borda. Cette innovation permettait désormais d’obtenir des angles à la seconde près, alors que les quarts de cercle que l’on utilisait jusqu’alors ne donnaient des angles qu’à 15 secondes près. Les mesures au sol seraient faites avec des règles bimétalliques cuivre-platine dont l’unité serait la toise du Pérou. Bien entendu n’importe quelle autre unité aurait fait l’affaire, puisque une fois déterminée la longueur du quart du méridien*, la division de celle-ci par 10 000 000, donnerait la longueur d’un mètre. Pour le cas présent, la longueur du premier mètre serait donc exprimée en toise du Pérou ; en 1747, La Contamine avait rapporté cette unité de mesure de son expédition en équateur, mais celle-ci n’était devenue un étalon national que le 16 mai 1766 après une Déclaration du roi.
* A l’époque de la définition telle qu’elle a été définie et inscrite, on considérait la définition du méridien comme celle de l’astronomie : un méridien était un cercle complet. Donc pour la terre autour de 40 000 km, le 10 millionième du quart du méridien correspond à 1 m. A ne pas confondre avec la définition du méridien géographique qui a été établi après la première définition du mètre et qui est défini comme un demi-cercle, donc 20 000 km pour la terre.
Cercle répétiteur
(St Mandé, IGN)
Deux équipes pour la mesure de l’arc méridien
Dans l’équipe de Delambre se trouvent les français Lalande et Bellet ; Tranchot et Esteveny eux accompagnent Méchain. L’Académie des Sciences a réparti la mesure de l’arc du méridien de la façon suivante : les deux tiers supérieurs, de Dunkerque à Rodez, incombent à Delambre ; le dernier tiers, de Rodez à Barcelone, relève de Méchain. Cette disproportion se justifiait dans la mesure où le parcours de Delambre devait théoriquement repasser à peu près par les points de l’ancienne triangulation, tandis que Méchain s’aventurait sur un territoire vierge de toutes mesures géodésique.
En fait, les repères des triangulations antérieures se révéleront inutilisables : dans les troubles de la révolution des clochers ont disparu ou menacent de tomber en ruines. Sommet après sommet Delambre découvre que les anciens repères que Cassini avait utilisés sont inexploitables : les anciens clochers ayant été reconstruits d’une autre façon après incendie.
Il fallut plus de cent triangles pour jalonner l’arc du méridien ; sur ce parcours nos deux géodésiens connurent bien des mésaventures : arrestations, révocations temporaires, ou encore endommagements et destructions de leurs ouvrages géodésiques. En effet, les signaux repères qu’ils utilisaient pour leurs observations excitaient la méfiance de la population ; les étoffes qui terminaient ces signaux étaient de couleurs blanche, or le blanc était la couleur de la royauté, donc une couleur contre révolutionnaire. Munis de laissez-passer, passeports, et autres autorisations, nos deux savants n’étaient cependant pas à l’abri des arrestations, car les institutions dont émanaient ces documents disparaissaient faisant d’eux des hors la loi. Ainsi, suite à la suppression des académies (en 1793), Delambre apprend son exclusion de la commission temporaire des poids et mesure (en 1794), il se voit interdit de poursuivre ses travaux, jusqu’en juin 1795. De son côté, Méchain connaît lui aussi bien des difficultés.
Aux repères à établir, aux montagnes à traverser se greffent les évènements historiques :
Une partie de ces mesures doit être réalisée sur le territoire espagnol tandis que la guerre entre la France et l’Espagne débute le 7 mars 1793. De 1793 à 1795, l’instauration de la Terreur va donc ralentir les travaux de la triangulation. Parallèlement, le mètre est provisoirement fixé par la loi du 1er août 1793 d’après les résultats de la mesure de la méridienne de France, publiés par Lacaille dans les Mémoires de l’Académie pour 1758. En outre, les subdivisions décimales du mètre seront le décimètre, le centimètre et le millimètre. Ce mètre étalon est temporaire, il ne correspond pas aux travaux de Méchain et Delambre, mais aux résultats de l’ancienne triangulation de Cassini.
En 1795, la situation politique s’améliorant, les travaux de la triangulation peuvent reprendre ; ils se poursuivront durant encore trois ans, avant que la longueur du quart du méridien puisse être précisément déterminée, et qu’un nouveau mètre-étalon en platine, dédié " à tous les temps, à tous les peuples ", ne soit déposé en 1799, aux archives de la république.
photos extraites de l'ouvrage "L'épopée du mètre" (publié par le ministère de l'industrie et de l'aménagement du territoire)