"L'homme est la mesure de toutes choses" - Protagoras (sophiste grec 485-411 avJC)
Jusqu'au XVIIIème siècle il n'existait aucun système de mesure unifié. Malgré les tentatives de Charlemagne et de nombreux rois après lui, visant à réduire le nombre de mesures existantes, la France comptait parmi les pays les plus inventifs et les plus chaotiques dans ce domaine. En 1795, il existait en France plus de sept cents unités de mesure différentes.
Nombre d'entre elles étaient empruntées à la morphologie humaine. Leur nom en conservait fréquemment le souvenir : le doigt, la palme, le pied, la coudée, le pas, la brasse, ou encore la toise, dont le nom latin tensa - de brachia - désigne l'étendue des bras. Ces unités de mesures n'étaient pas fixes : elles variaient d'une ville à l'autre, d'une corporation à l'autre, mais aussi selon la nature de l'objet mesuré. Ainsi, par exemple, la superficie des planchers s'exprimait en pieds carrés et celle des tapis en aunes carrées.
Les mesures de volume et celles de longueur n'avaient aucun lien entre elles. Pour chaque unité de mesure les multiples et sous multiples s'échelonnaient de façon aléatoire, ce qui rendait tout calcul extrêmement laborieux. Pour comprendre les difficultés qu'entraînaient de tels systèmes, il convient de considérer le mode actuel de la mesure du temps, survivance de l'ancien système de subdivisions. Dans ce système, tout calcul implique une conversion préalable.
Source d'erreurs et de fraudes lors des transactions commerciales, cette situation portait aussi préjudice au développement des sciences. A mesure que l'industrie et le commerce prenaient de l'ampleur, la nécessité d'une harmonisation se faisait de plus en plus pressante.
Politiques et scientifiques, vont tenter de réformer cet état de fait. Leur idée est d'assurer l'invariabilité des mesures en les rapportant à un étalon emprunté à un phénomène naturel, un étalon universel qui, ainsi que Condorcet le rêvait déjà en 1775, ne serait fondé sur aucune vanité nationale, permettant l'adhésion de toutes les nations étrangères.
Le climat de réforme qui suivit les événements révolutionnaires permit de précipiter le choix d'un étalon. Les cahiers de doléance réclamaient cette mesure universelle pour s'affranchir de l'arbitraire des unités de mesure seigneuriales.
Le 16 février 1791, sur la proposition Du Chevalier JC de Borda - l'inventeur du pendule et du "cercle répétiteur" qui portent son nom - une commission chargée de fixer la base de l'unité des mesures est constituée. La commission, composée de Borda, Condorcet, Laplace, Lagrange et Monge doit opérer son choix entre trois références possibles : la longueur du pendule simple à secondes à la latitude de 45°, la longueur du quart du cercle de l'équateur, ou enfin la longueur du quart du méridien terrestre.
Jean-Baptiste Joseph DELAMBRE
(1747 - 1822)
Alors que le pendule battant la seconde présentait l'inconvénient de faire intervenir des durées, et de varier selon les points du globe (la longueur du pendule aurait du être corrigée en fonction de l'intensité de la pesanteur), le méridien apparaissait comme la solution la plus simple à calculer et la plus universelle.
Le 26 mars 1791 naissait le mètre, dont la longueur était établie comme égale à la dix millionième partie du quart du méridien* terrestre. Le mètre concrétisait l'idée d'une " unité qui dans sa détermination, ne renfermait rien ni d'arbitraire ni de particulier à la situation d'aucun peuple sur le globe ".
Mais il restait encore à établir la longueur exacte du méridien, ce qui donna lieu à une véritable épopée pour les géodésiens chargés de cette mission, Pierre-François MECHAIN (1744-1804) et Jean-Baptiste DELAMBRE (1747-1822).
A eux seuls, ces deux hommes vont se charger des opérations de triangulation qui lieront leur nom pour la postérité à cette nouvelle mesure du méridien. Ces travaux prirent près de sept ans et les conduisirent de Dunkerque à Barcelone.
C’est en utilisant le système de la triangulation que les scientifiques du 18e siècle sont parvenus à déterminer une longueur d'un quart de méridien, dont la dix millionième partie donne la valeur du mètre.
voir la Méridienne de Delambre et Méchain entre Dunkerque et Barcelone
* A l’époque de la définition telle qu’elle a été définie et inscrite, on considérait la définition du méridien comme celle de l’astronomie : un méridien était un cercle complet. Donc pour la terre autour de 40 000 km, le 10 millionième du quart du méridien correspond à 1 m. A ne pas confondre avec la définition du méridien géographique qui a été établi après la première définition du mètre et qui est défini comme un demi-cercle, donc 20 000 km pour la terre.
L'unité de mesure de base étant déterminée, il " suffisait " désormais d'établir toutes les autres unités de mesure qui en découlaient : le mètre carré et le mètre cube, le litre, le gramme...
Le système métrique décimal est alors institué le 18 germinal an III (7 avril 1795) par la loi " relative aux poids et mesures ". Il s'agit d'un bouleversement majeur des pratiques humaines. La décimalisation introduisait une véritable révolution dans le calcul des surfaces et des volumes. Tout passage d'une surface multiple à un sous-multiple, et vice versa, s'opère par simple glissement de la virgule décimale de deux rangs, de trois rangs s'il s'agit de volume.
Pour déterminer l'unité de masse, la commission préféra l'eau à tout autre corps tel que le mercure ou l'or, en égard à " la facilité de se procurer de l'eau et de la distiller... ". Il fut établi que le kilogramme serait égal à la masse d'un décimètre cube d'eau à une température donnée.
Pour l'usage courant, les premiers étalons du mètre et du kilogramme furent fabriqués en 1799 et déposés aux Archives de la République, dédiés "à tous les hommes et à tous les temps".
Le système métrique décimal à la fois simple et universel commence à se propager hors de France. Le développement des réseaux ferroviaires, l'essor de l'industrie, la multiplication des échanges exigent des mesures précises. Adopté dès le début du 19e siècle dans plusieurs provinces italiennes, le système métrique est rendu obligatoire aux Pays Bas dès 1816 et choisi par l'Espagne en 1849.
En France, après quelques mesures contradictoires, la loi du 4 juillet 1837, sous le ministère de Guizot, permet l'adoption exclusive du système métrique décimal. Il aura fallu près d'un demi-siècle pour aboutir à l'adoption d'un système créé pourtant dans l'enthousiasme sous la Révolution.
Après 1860 les adhésions se multiplient gagnant les pays d'Amérique Latine, et un nombre conséquent de pays, l'ont déjà adopté. Néanmoins, ces pays sont dépendants de la France chaque fois qu'il s'agit d'obtenir des copies exactes des étalons du mètre et du kilogramme. Cette subordination à la France, ajoutée au manque d'uniformité dans l'établissement des copies, risque de compromettre l'unification souhaitée. Pour palier ces difficultés le Bureau international des poids et mesures (B.I.P.M.) voit le jour en 1875, lors d’une conférence internationale diplomatique ; cette dernière aboutit, le 20 mai 1875 à la signature par les plénipotentiaires de 17 Etats du traité connu sous le nom de Convention du mètre.
La mission initiale du BIPM était d'assurer l'établissement du Système Métrique dans le monde entier par la construction et la conservation des nouveaux prototypes du mètre et du kilogramme, de comparer les étalons nationaux à ces prototypes, et de perfectionner les procédés de mesure afin de favoriser les progrès de la métrologie dans tous les domaines.
Néanmoins, le BIPM s'est progressivement orienté vers l'étude des problèmes métrologiques et des constantes physiques qui conditionnent l’exactitude des mesures lors de la définition des unités (tel que la thermométrie par exemple), puis au fil des développements industriels, ses attributions ont été étendues à de nouveaux domaines : les unités électriques (1937), photométriques (1937) ou les étalons de mesure pour les rayonnements ionisants (1960).
Le Système international d'unité (SI), successeur du système métrique, est officiellement né en 1960 à partir d'une résolution de la 11ème Conférence générale des poids et mesures. Ce système permet de rapporter toutes les unités de mesure à un petit nombre d'étalons fondamentaux, et de consacrer tous les soins nécessaires à améliorer sans cesse leur définition. C'est là, une des missions des différents laboratoires nationaux de métrologie.
Les définitions des unités de base du SI ont évolué au cours de l'histoire dès que les besoins de précision de certains utilisateurs n'étaient plus satisfaits.
Les méthodes de mesure et les étalons eux-mêmes progressent et se renouvellent constamment ; en effet, plus les unités de mesure ont une définition précise, et plus les valeurs mesurées peuvent être fines. Les travaux concernant les étalons fondamentaux, effectués notamment par les laboratoires nationaux de métrologie du LNE et par le Bureau international des poids et mesures, ne connaîtront sans doute jamais de fin.
L'évolution de la définition du mètre dans le sens de sa dématérialisation en est l'illustration.
L'unité mètre définie par rapport au quart du méridien, avait un caractère universel mais il est certain que sa mise en oeuvre soulevait de nombreuses difficultés. C'est pourquoi son étalon fut d'abord le mètre des Archives, puis le prototype international du mètre à partir de 1889.
Le 14 août 1960, le mètre est redéfini comme étant égal à 1 650 763,73 fois la longueur d'onde, dans le vide, d'une radiation orangée de l'atome krypton 86. Cette définition, fondée sur un phénomène physique, marquait le retour à un étalon naturel, reproductible, offrant des garanties de permanence et d'invariabilité permettant d'avoir une exactitude près de cinquante fois supérieure à celle qu'autorisait le prototype international, et une meilleure garantie de conservation à très long terme.
En 1983, suite aux importants travaux sur la vitesse de la lumière et sur les horloges atomiques, le mètre est redéfini en fonction de la vitesse de la lumière, comme égal " à la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant 1/299 792 458 de seconde ".
photos extraites de l'ouvrage "L'épopée du mètre" (publié par le ministère de l'industrie et de l'aménagement du territoire)